Le blog

De l'avidité de nos yeux

A Caroline Bénichou

J’ai découvert votre blog lors d’une recherche sur le nom de Bernard Faucon. J’ai lu quelques phrases et j’ai été éblouie. Ces phrases étaient déjà chez moi, dans la pénombre, enfouies sous des plis et des replis et tout d’un coup Lumière. Elles apparaissaient noires et fines sur la blancheur de l’écran.
Dois-je vous avouer que je n’ai pas pu lire vos autres textes ? Je ne voulais pas les voir, je ne voulais pas que quelqu’un extraie pour moi toutes ces pépites enfouies, je les évitais si bien jusqu’à présent.  J’avais peur de ce que je pourrai découvrir. La beauté, la pureté, la sensualité. J’avais très peur. Une sorte d’effroi blanc qui couvre instantanément toutes choses trop justes, trop moi peut-être ?

Je vous ai demandé comme amie. J’ai mis longtemps à le faire. Et si vous disiez non ? Vous avez mis longtemps à accepter. Très.
J’espérais que des images choisies par vous apparaissent sur mon fil. Par inadvertance. Qu’il m’arrive quelque chose sans que je n’aie rien à faire. Que je me fasse surprendre. Mais l’algorithme de facebook me refusait ce cadeau.

Vous étiez lectrice aux Rencontres d’Arles. Je me suis dit Accorde-toi ce plaisir, offre-toi une rencontre qui ne serve à rien. Une vraie rencontre.
Bien sûr vous êtes la seule à m’avoir demandé pourquoi je venais vous voir, pourquoi je vous avais choisie parmi les dizaines de lecteurs. Il fallait bien que je réponde Pour le plaisir de vous rencontrer.
Evidemment je ne me souviens de rien de ce que vous m’avez dit. Pas même la citation que vous m’avez répétée plusieurs fois à propos de mon travail. Je me souviens seulement de votre dernière phrase. Je crois qu’il faut qu’on se revoie.

Facebook m'ayant refusé ce cadeau spontané, j'ai demandé à Caroline Bénichou de choisir elle-même la photo qui illustrerait cet article

De l’autre côté du souvenir

Sur des photographies de Nathalie Déposé

Le dispositif est simple.
D’un côté, la nature morte met en scène les petits cailloux blancs du souvenir : une épuisette, un panier, un chapeau, une casquette, une revue, un chien, une cagette. Chacun de ses objets porte l’une des multiples dimensions de la mémoire, cette casquette, je la portais le jour où, et cette veste est celle de la première fois. L’objet est témoin et preuve du ça a été. Mais il est aussi ce qui rend possible son évocation aujourd’hui.

De l’autre côté, la nature vivante. Une scène champêtre où s’égaient les personnages. La scène est tellement réelle qu’elle ne peut-être que fausse. De fait elle n’appartient que partiellement au temps présent, c’est un souvenir, avec toute son aura de merveilleux et d’innocence.
Rien d’évident dans la re-création d’un souvenir. Déjà l’exhumer n’est pas facile, il faut explorer les limbes de la mémoire individuelle et familiale, partir en explorateur, confronter les versions, accepter qu’il ne ressemble en rien à ce qui a été. Puis il faut le tracter jusqu’au présent. La mère de la photographe qui partait dans les bois son panier à la main ne veut plus y aller. Il y a des bêtes ma chérie. Se laissera-t’elle convaincre de partir sur les traces de ces émotions déjà vécues et pour elle disparues ? Le père n’est pas sûr de savoir encore où se trouve sa canne à pêche.
Enfin les acteurs du souvenir se prennent au jeu. Trente ans plus tard, ils vont reprendre l’épuisette abandonnée dans le grenier pour pêcher des écrevisses disparues des rivières entre-temps. On part en famille chercher des champignons. Comme avant. Et l’on s’émerveille encore du poisson fraîchement pêché qui frétille dans la paume.
Dans la scène que ses parents recréent pour elle, ne manque que la fille.
Elle est passée de l’autre côté du souvenir.
Elle est devenue grande.
Et photographe.
Photographe surtout.